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Thomas ANDRIEU et Natalie FRICERO : « La certification des plateformes proposant des conciliations, médiations ou arbitrages en ligne devrait contribuer à créer un climat de confiance »

Tech&droit - Start-up
Civil - Procédure civile et voies d'exécution
15/10/2018
2019, l’année du label et de la certification des legaltechs ? Une première étape pourrait être franchie avec le projet de loi de programmation pour la justice, qui prévoit ainsi d’introduire une certification pour les legaltechs qui proposent une plateforme de résolution amiable des différends en ligne. L’opportunité de donner de la lisibilité aux justiciables sur ces acteurs, qui était le thème d’une des conférences organisées par le Club des juristes, le 6 octobre dernier, à l’occasion du 10e Salon du livre juridique. Échanges croisés entre Thomas Andrieu, directeur des Affaires civiles et du Sceau, et Natalie Fricero, professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis. 
Actualités du droit : Pouvez-vous dresser un rapide bilan du recours à la médiation/conciliation : est-ce que cela marche en France ? Quels seraient les apports de la généralisation de la médiation/conciliation, préalable obligatoire ?
Thomas ANDRIEU : Notre législation est très complète sur les modes alternatifs de règlement des différends. Elle distingue : Parallèlement, on observe une évolution dans la formation des juristes qui développe l’offre de formation en la matière. Les colloques sur la justice amiable se multiplient et les formations destinées aux étudiants, aux magistrats, aux avocats, aux professionnels sont nombreux.
 
Pourtant, malgré un environnement juridique favorable, force est de constater qu’il pourrait être davantage recouru aux conciliations, médiations et conventions de procédures participatives que cela ne l’est déjà. Ce constat est toutefois relativement empirique, puisqu’il résulte de l’observation du nombre de saisines des tribunaux, sans pouvoir connaître le nombre précis de résolutions amiables des conflits tentés en amont de la saisine du juge.
 
Les statistiques disponibles révèlent que moins de 1 % des affaires sont envoyées en médiation pour information ou tentatives de médiation et qu’environ 1,8 % des saisines des tribunaux d’instance sont envoyées devant le conciliateur de justice. En revanche, il n’existe pas de statistiques à proprement parler des tentatives de résolution amiables en dehors de toute saisine d’une juridiction, les seules disponibles étant les statistiques concernant l’activité des conciliateurs de justice (125 900 saisines directes par les particuliers en 2015 et 72 200 conciliations intervenues) et celles relatives aux demandes d’homologations ou de constats d’accords et attestant d’environ 40 000 demandes annuelles pour ce motif (hors surendettement).
 
À rapporter aux 500 000 requêtes en injonction de payer ou aux 730 000 affaires terminées au fond au civil devant le TGI…
 
La volonté des pouvoirs publics d’accroître les recours des particuliers aux modes alternatifs de règlement des différends est forte, mais les statistiques établissent que cette voie n’est pas choisie en première intention par les justiciables et par les professionnels du monde judiciaire que sont les magistrats et les avocats.
 
Pour encourager les justiciables à tenter un mode amiable de résolution des différends à titre principal, le législateur a introduit la tentative de conciliation obligatoire préalable à la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe. C’était l’objet de l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Il n’y a pas encore de jurisprudence sur l’application de cette loi, étant précisé, également, que les juges manient l’irrecevabilité avec douceur.
 
L’article 2, II du projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 va plus loin, mais de manière prudente, puisqu’il prévoit l’extension de la tentative de résolution amiable préalable obligatoire aux litiges portés dorénavant devant le tribunal de grande instance lorsque la demande n’excède pas un montant défini par décret en Conseil d’État ou lorsqu’elle a trait à un conflit de voisinage. Au choix des parties, la tentative de résolution amiable consistera en une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative.
 
Il est nécessaire d’orienter les citoyens vers des processus de résolution amiable identifiés, tels que la conciliation, la médiation et la convention de procédure participative. En ce concentrant sur les seuls les différends qui n’auraient pas trouvé de solution amiable ou pour lesquels les parties auront commencé à discuter et auront réduit le conflit à son expression la plus contentieuse, la justice civile pourra ne traiter que les cas les plus contentieux ou posant des questions de droit difficiles.
 
En outre, à l’article 2 du projet de loi justice, le Gouvernement propose que le juge puisse, à toute étape de la procédure enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur pour tout type de contentieux. Le juge pourra renvoyer l’affaire à médiation à tout moment, avant, pendant et après le contentieux. Cette rencontre devra consister en une présentation du processus de médiation, du déroulement des séances si les parties acceptent de la tenter et des avantages qu’elles pourraient en retirer, à court et à moyen terme. Le pouvoir d’ordonner une médiation après le contentieux sera conféré au juge aux affaires familiales lorsqu’il statue sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale (au même titre, par exemple, que la fixation d’un droit de visite et d’hébergement) : il pourra, alors même qu’il a tranché sur le fond, renvoyer les parties en médiation pour faciliter l’exécution de la décision.
 
L’exécutif est d’une très grande prudence sur ce sujet essentiel du mode amiable et le législateur dispose de peu de moyens. Il se peut que l’on soit ici sur un sujet culturel : ce qui compte, ce sera la formation, le changement des pratiques et les incitations économiques à destination des professionnels du droit. Peut-être que si l’avenir n’est pas qu’au contentieux, il faudra rediriger ces pratiques vers d’autres manières de faire du droit et de défendre les droits des justiciables.
 
Natalie FRICERO : Il faut ajouter que le projet de loi se situe dans la droite ligne des exigences européennes. D’abord, le constat du relatif succès des modes extrajudiciaires est partagé par tous les États du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Mais la difficulté pour analyser la situation avec précision résulte de l’absence de chiffres précis ! Ensuite, il existe de très fortes pressions pour que les États adoptent des mesures diversifiées pour inciter les justiciables (et les professionnels du droit) à recourir à ces processus, notamment, en prévoyant des tentatives de médiation ou de conciliation préalables, à peine d’irrecevabilité des demandes en justice.
 
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé (CEDH, 24 oct. 2017, nos 20199/14 et 20655/14, N et G contre Russie) que l’obligation légale de tenter une médiation préalable poursuit un but légitime (désengorger les rôles des tribunaux et améliorer le fonctionnement de la justice) et qu’elle préserve les droits des justiciables (l’accès au juge est protégé et l’accord de médiation est conforme à leurs intérêts), ce qui la rend conforme à l’article 6 § 1 de la Convention qui prévoit le droit à un procès équitable.
 
La Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision du 14 juin 2017 (CJUE, 14 juin 2017, aff. C 75/16) a jugé que la directive n° 2013/11/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013, relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation n’interdit pas aux législations nationales d’imposer une médiation préalable obligatoire aux consommateurs, avant de saisir les juges, à condition que le consommateur puisse se retirer du processus librement et que la représentation par avocat devant le médiateur ne soit pas obligatoire.
 
Observons que la résolution du Parlement européen du 4 juillet 2017 contenant des recommandations à la Commission relatives à des normes minimales communes pour les procédures civiles dans l’Union européenne (Parlement européen, 4 juill. 2017, 2015/2084(INL)) qui fait des recommandations à la Commission européenne pour les normes minimales communes aux procédures civiles dans l’Union européenne indique «   Les États membres veillent à ce qu’à tout stade de la procédure et au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, si la juridiction est d’avis que le litige est de nature à faire l’objet d’un règlement, elle peut proposer aux parties de recourir à la médiation afin de parvenir à un règlement du litige ou d’envisager cette possibilité »…
 
Thomas ANDRIEU : Derrière l’intitulé du sujet, « 2019, l’année du label et de la certification », je pense qu’il y a un sujet encore plus vaste que la certification des plateformes ou le développement des MARD sous leurs différentes formes. En effet, aujourd’hui, la réglementation de l’univers du droit repose sur deux pieds :
  • d’un côté, on a des professions très réglementées (les avocats et les officiers publics et ministériels), une régulation que j’appellerai verticale ;
  • de l’autre côté, on a le libre marché, le contrat et le cas échéant le droit de la consommation pour réguler cette seconde sphère.
La question du label et de la certification est celle d’une régulation tierce, plus légère que les professions réglementées, mais qui ne laisse pas au seul libre marché la régulation et le contrôle qualité de la prestation. C’est cela que l’on commence à explorer aujourd’hui avec la certification. Derrière cette problématique, il y a bien la question de l’évolution globale de la régulation dans les années qui viennent : faut-il être plus léger ? Faut-il un peu moins de quasi-ordres professionnels et un peu plus de labels sur tel ou tel type de prestation ou d’activité ?
 
Je n’ai pas la réponse à cette question mais le numérique et le droit européen du marché intérieur poussent en ce sens.
 
ADD : Pouvez-vous nous présenter le contenu de l’article 3 ? Quel est l’objectif du gouvernement ?
Thomas ANDRIEU : Le constat est fait, depuis déjà quelques années, du développement constant des plateformes de médiation et d’arbitrage en ligne (fast-arbitre, e-just, medicys, etc.). Ces plateformes n’ont pas attendu que les pouvoirs publics s’y intéressent pour prendre une part croissante dans l’offre de règlement des litiges.
 
Mais il est difficile de connaître la réalité de leur activité, l’importance de leurs chiffres d’affaires, le nombre de leurs clients ou leurs perspectives de profitabilité.
 
Leurs prestations sont payantes, de 400 à plus de 14 000 euros, selon la complexité de l’affaire et les options choisies, telles que le recours à la visioconférence.
 
Mais surtout leurs pratiques ne sont pas toujours sûres et il n’est pas possible de s’assurer de la qualité des services offerts. Il n’est plus permis de nier cette réalité, il faut l’accompagner.
 
Plusieurs options d’encadrement étaient possibles. La proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice émanant du sénateur Philippe Bas, adoptée au Sénat le 25 octobre 2017, prévoyait en son article 8 la régulation des offres en ligne de modes alternatifs de résolution des litiges, d’une part, et la création d’un service public en ligne, d’autre part.
 
Le développement d’un service public de résolution amiable des différends a cependant été écarté. En effet, cette option aurait nécessité des investissements techniques considérables, alors même que de nombreux opérateurs privés se développent sur ce terrain, en proposant des solutions numériques innovantes. A également été écartée par la garde de Sceaux la piste d’une labellisation par le Ministère ou encore de la création d’une commission de certification au sein du ministère de la Justice, ou de l’extension de la compétence de la commission de médiation de la consommation dont le champ est spécifique. L’explosion de l’offre en ligne et la rareté des moyens de l’État ont amené au réalisme.
 
Nathalie FRICERO : Un label regroupe un ensemble d’exigences auxquelles les produits labellisés doivent répondre. La caution technique est moindre puisqu’un label peut provenir d’un organisme public ou privé. Il convient d’ailleurs de faire attention au sérieux et à la fiabilité de cet organisme et ce à quoi s’engagent vraiment les adhérents. Un label est donc beaucoup moins encadré qu’une certification (Communiqué Nf certification, 23 nov. 2017, Quelles différences entre réglementation, norme, label et certification ?).
 
Thomas ANDRIEU : Ce qui a été retenu, c’est une certification privée facultative. On offre alors au marché la possibilité de s’autoréguler et aux acteurs de se soumettre à un test indépendant pour prouver leurs valeurs.
 
La certification n’est pas obligatoire car elle poserait des problèmes juridiques constitutionnels d’atteinte à la liberté d’entreprendre et également eu égard au droit du marché intérieur, en droit européen.
 
ADD : La certification peut-elle améliorer la confiance des justiciables dans ces plateformes ?
Thomas ANDRIEU : Il ne vous aura pas échappé que toute la réforme du projet de loi programmation est axée sur une volonté de modernisation et de dématérialisation de la procédure civile. L’accompagnement, par le ministère de la Justice, du développement des plateformes de résolution en ligne cristallise à lui seul ces deux volontés de modernisation et de dématérialisation.
 
Le fonctionnement des plateformes de médiation en ligne sera par conséquent sécurisé par l’octroi d’une certification, soumis à plusieurs conditions.
 
ADD : Que va apporter ce label pour le justiciable ?
Thomas ANDRIEU : La disposition envisagée par le législateur aura un caractère facultatif et devra être sollicitée par l’opérateur exploitant la plateforme.
 
L’organisme accordant la certification devra vérifier que les conditions nécessaires à l’obtention de la certification sont remplies. Les conditions à remplir seront les suivantes :
  • respect des obligations relatives à la protection des données personnelles et de la confidentialité, sauf accord des parties ;
  • accomplissement de la mission par une personne physique avec diligence, compétence indépendance et impartialité, dans le cadre d’une procédure efficace et équitable ;
  • absence d’exploitation par un traitement complètement algorithmique ou automatisé.
L’obtention par le service en ligne de la certification auprès de l’organisme accrédité donnera aux citoyens une information sur la qualité du service qu’il s’apprête à utiliser. L’attribution de cette certification devrait contribuer à créer un climat de confiance relatif au fonctionnement de ces plateformes proposant des conciliations, médiations ou arbitrages en ligne.
 
Les citoyens s’adressant à ces plateformes seront rassurés sur le fait que leurs données personnelles seront protégées, que le conciliateur ou le médiateur respectera la confidentialité des échanges et tentera de trouver une solution au litige de façon impartiale et équitable.
 
Natalie FRICERO : La certification est une nécessité, parce que c’est un outil de contrôle de la qualité des services rendus et un gage de confiance. Elle assure la sécurité juridique, la transparence, le respect des droits fondamentaux des personnes. Dans l’Union européenne, de nombreux États ont mis en place des processus de certification des médiateurs (listes nationales, contrôle de la formation initiale et continue, etc.). Des chartes de déontologie ou soft Codes de déontologie apparaissent, dans lesquels les obligations des médiateurs sont définies et respectées par les personnes physiques qui adhèrent aux centres ou associations de médiation. Aucune raison ne justifie que les services de médiation ou de conciliation numériques échappent à ces exigences.
 
L’objectif du projet de loi en imposant un contrôle de l’impartialité et de l’indépendance des médiateurs ou conciliateurs numériques rejoint la réflexion plus globale de l’éthique des pratiques numériques. Certains acteurs du numérique ont proposé que les professionnels des données prêtent un serment « d’Hippocrate pour Data scientist », qui définit des principes éthiques dans le traitement des données (intégrité scientifique et rigueur, transparence, équité, respect de la vie privée et de la dignité des personnes, responsabilité et indépendance).
 
ADD : Est-ce une première étape vers la privatisation de la justice ?
Thomas ANDRIEU : Ces dispositions ont été vivement attaquées, au nom d’une justice indépendante et impartiale, d’un combat contre une médiation qui serait le fruit de l’application implacable d’un algorithme. Il nous a aussi été reproché à cet égard une déshumanisation de la justice.
 
Certains magistrats y ont vu les bases d’un futur préalable à la saisine du juge obligatoire, payant, dématérialisé, emportant une décision résultant d’un algorithme. Mais l’absence de réforme en la matière n’aurait en rien empêché le développement de ces plateformes. En outre, je souhaite le rappeler, le ministère de la Justice est opposé à une démarche préalable obligatoire payante.
 
De nombreux avocats relayés par le CNB et la conférence des bâtonniers, ont vu dans cet article une atteinte potentielle au « périmètre du droit », tant ils peinent aujourd’hui à faire condamner des plateformes qui offrent une assistance aux justiciables souvent à la limite de l’office de l’avocat.
Toutes ces inquiétudes doivent être prises au sérieux et la rédaction de cet article a été largement modifiée à l’issue de nombreuses réunions de travail.
 
Un amendement gouvernemental déposé devant la commission des lois proposait des précisions (sur la place de l’algorithme par exemple) et rappelait que les plateformes ne peuvent porter atteinte au monopole confié à certaines professions judiciaires relatives à la consultation en matière juridique et à la rédaction d’actes sous seing privé, en faisant référence à l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971. Il en faisait une condition de la certification.
 
La commission des lois du Sénat a largement modifié le texte. Le projet de loi justice prévoit désormais (à l’instar des propositions de loi ou de résolution déposées par Philippe Bas) une certification obligatoire et délivrée par le seul ministère de la Justice.
 
Le gouvernement va demander le rétablissement du caractère facultatif de la certification, tout en prenant en considération le travail du Sénat sur le reste de l’article.
 
ADD : Quelles seront les conditions de la certification ?
Thomas ANDRIEU : La méthode retenue est la suivante : le ministère de la Justice reconnaît l’existence de ces plateformes en leur offrant une certification, mais c’est à la condition qu’il ait un droit de regard sur leur fonctionnement et les méthodes employées.
 
La neutralité est la première exigence, comme pour les modes de règlement des conflits dans le monde physique.
 
La personne qui fait appel à ce mode de résolution doit être ensuite informée de l’utilisation de cet algorithme. C’est un constat qu’on ne peut ignorer : la résolution des litiges dans le cadre des plateformes en ligne repose sur le traitement, au moins partiel, par un algorithme. Cela était déjà le cas avant et la réforme aura finalement eu le mérite de le dévoiler au grand public.
 
La médiation nécessite de l’humain, lorsqu’il s’agit de conflits de voisinage par exemple, ou en matière familiale. D’ailleurs, les règles relatives tant à l'arbitrage (CPC, art 1450), à la médiation (CPC, art. 1532) ou la conciliation (D. n° 78-381, 20 mars 1978, relatif aux conciliateurs de justice, art. 2) impliquent l'intervention d'une personne physique. Mais si la médiation nécessitait en toute hypothèse un échange physique entre les parties, comment expliquer en ce cas le succès des plateformes en ligne ?
 
L’utilisation d’un algorithme ne doit donc pas être niée, mais elle doit être limitée et sécurisée. La rédaction du projet de loi a d’ailleurs évolué sur ce point. Il est ainsi réaffirmé que la résolution amiable d’un litige ne pourra résulter exclusivement du traitement par un algorithme et la certification ne pourra être accordée que si une personne physique intervient au cours de la résolution amiable.
 
Sur ce point, il y a eu une évolution qu’il faut signaler dans la loi sur la protection des données personnelles (L. n° 2018-493, 20 juin 2018, relative à la protection des données personnelles). On a admis pour la première fois qu’une décision administrative pouvait dans certaines circonstances très ciblées être prise sur le seul fondement d’un algorithme. C’est le cas de Parcoursup. Ce choix a été fait par le législateur et validé par le Conseil constitutionnel, qui a apprécié les garanties qui étaient offertes : d’une part, sur le caractère limité et contestable devant le juge de la décision, d’autre part sur le caractère parfaitement transparent de l’algorithme.
 
Nous n’avons pas franchi ce pas pour l’amiable et il n’en est pas question.
 
Ces personnes seront, en outre, soumises au respect de la confidentialité des échanges, avec une référence à l’article 226-13 du Code pénal, qui est en quelque sorte le droit commun du secret professionnel. Elles devront agir avec compétence, diligence, indépendance et impartialité, autant de qualités attendues d’un médiateur.
 
Et le certificateur devra également contrôler le respect du « périmètre du droit ».
 
On va donc plus loin que dans le cas de la réglementation de ce type de service dans le monde physique. La question de savoir pourquoi une régulation plus poussée spécifiquement pour ce type d’acteurs se pose. Il est pour l’heure prématuré pour fusionner les deux régimes, mais ce pourrait être envisageable dans quelques années.
 
La certification interviendra après examen par un organisme accrédité par le COFRAC (comité français d’accréditation), association de droit privé à but non lucratif désignée comme unique instance nationale d’accréditation par le décret du 19 décembre 2008. Il s’agit donc d’un mécanisme à deux niveaux : l’organisme d’accréditation (le COFRAC) accrédite les certificateurs tiers, qui certifient eux-mêmes les plateformes.
 
La certification sera retirée si ces conditions ne sont plus remplies.
 
L’État propose donc un équilibre intéressant, avec un outil facultatif, qui peut être un puissant outil de marché, pour que les particuliers puissent se repérer dans cet univers.
 
ADD : La certification doit-elle être obligatoire ?
Thomas ANDRIEU : Il aurait été imprudent d’imposer une certification obligatoire qui aurait abouti à réglementer un marché émergent. Il a donc été fait le choix d’une certification facultative. Les sociétés seront cependant incitées à solliciter leur certification.
 
Il s’agit d’abord d’une incitation de marché. En effet, la certification permettra de guider les citoyens dans leur choix de confier leur litige auprès de telle ou telle plateforme. Nous entendons ainsi que la certification participe de l’amélioration de la confiance des justiciables à l’égard de ces plateformes. À cet égard, faut-il rappeler que la certification est un processus d'évaluation de la conformité qui aboutit à l'assurance écrite que les plateformes répondront aux exigences posées par le projet de loi de programmation ? Ainsi, si ces sociétés souhaitent développer leur clientèle, elles auront ainsi tout intérêt à être certifiées.
 
ADD : Est-ce au ministère de la Justice ou à un organisme extérieur de certifier les legaltechs qui feront cette démarche ?
Thomas ANDRIEU : Initialement, la disposition envisagée par le gouvernement prévoyait de confier au Cofrac, le comité français d’accréditation, le soin de désigner les organismes qui pourraient délivrer l’accréditation. À l’issue de son examen, la commission des lois a préféré modifier cette disposition de façon à ce que la certification puisse être opérée par le ministère de la Justice uniquement.
 
Pourtant, de la même façon que le ministère de la Justice a rejeté le principe du développement de sa propre plateforme de résolution amiable des différends, il n’entendait pas procéder lui-même aux vérifications mais définir précisément les conditions auxquelles la certification pourra être accordée par un tiers.
 
À l’issue de la discussion parlementaire, si cette disposition est adoptée, la certification sera réalisée par l’une ou l’autre des entités envisagées.
 
ADD : Les plateformes seront-elles soumises à une obligation de confidentialité ? Au secret professionnel ? Au respect des secrets d'affaire ?
Thomas ANDRIEU : La disposition envisagée prévoit que les personnes physiques ou morales proposant la conciliation, médiation ou arbitrage devront respecter une obligation de confidentialité, sauf si les parties les en dispensent.
 
Les dispositions de l’article 226-13 du Code pénal s’imposeront quant à elles aux personnes concourant à la fourniture ou au fonctionnement du service en ligne.
 
Natalie FRICERO : L’article 226-13 du Code pénal peut être étendu à toute personne qui est dépositaire d’une information à caractère secret, soit par état, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire et qui la révèle. Le secret pénalement sanctionné ne concerne pas uniquement les professions réglementées et il est hautement souhaitable que les prestataires de médiation, conciliation ou arbitrage en ligne y soient soumis.
 
Thomas ANDRIEU : Enfin, dès lors qu’elles seront amenées à avoir le contrôle de façon licite d’une information répondant aux critères mentionnés à l’article L. 151-1 du Code de commerce, les plateformes seront soumises au dispositif de protection du secret des affaires prévu par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018.
 
ADD : Quid des conflits d'intérêt (transparence dans le choix des médiateurs/conciliateurs) ?
Thomas ANDRIEU : L’article 8 du décret du 20 mars 1978 portant statut des conciliateurs de justice leur impose de prêter un serment aux termes duquel ils « (jurent) de loyalement remplir (leurs) fonctions avec exactitude et probité et d'observer en tout les devoirs qu'elles (lui) imposent ».
 
En application de ce serment, il appartient aux conciliateurs de justice de révéler les intérêts qu’ils pourraient avoir dans un différend qui leur est soumis ou les liens de famille éventuels. Ils devraient alors orienter les parties vers un autre conciliateur de justice.
 
Cette obligation s’impose en ligne, comme dans l’univers physique.
 
S’agissant des médiateurs, l’article 21-2 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 leur impose d’accomplir leur mission avec impartialité, compétence et diligence, de la même façon que ce qui est prévu dans la disposition figurant dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.
 
Lorsque ce type de service est exercé par une personne physique pour le compte d’une personne morale, ces obligations s’apprécient aussi par rapport à l’actionnaire, qui peut avoir un intérêt dans une conciliation ou un arbitrage.
 
Le contrôle de l’impartialité des conciliateurs, médiateurs et arbitres opérant sur les plateformes sera opéré ab initio et in abstracto par l’organisme certificateur à l’occasion de la demande de certification.
 
Natalie FRICERO : Outre ce contrôle en amont par l’organisme certificateur, si un conflit d’intérêts apparaît à l’occasion d’une médiation, des sanctions existent :
- les médiés peuvent se retirer librement du processus ;
- ils peuvent mettre en cause la responsabilité civile du prestataire de services ;
- le retrait de la certification est également prévu.
 
Le Code de la consommation contient une disposition intéressante à propos du médiateur en ligne de la consommation. L’article R. 613-2 prévoit que le médiateur informe sans délai les parties de la survenance de toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance et son impartialité ou de nature à créer un conflit d’intérêt. Il doit alors informer les parties de leur droit de s’opposer à la poursuite de sa mission.
 
ADD : Certains acteurs privés développent leur propre système de résolution des conflits. Le contentieux de masse va-t-il évoluer vers un simple service après-vente ?
Thomas ANDRIEU : C’est précisément l’esprit de la certification qui est de permettre de s’assurer qu’au sein de ces plateformes, celles qui seront certifiées rempliront un certain nombre de critères au nombre desquels l’indépendance et l’impartialité à l’égard des parties, afin de garantir la qualité du service rendu. Il est donc exclu, compte tenu des standards posés, que ce système de plateformes certifiées évolue en un simple service après-vente. Le « service réclamation » d’un opérateur n’est pas une plateforme de conciliation, médiation ou arbitrage.
 
Natalie FRICERO : Les professionnels ont tous structuré leur service après-vente et le Code de la consommation les y incite vivement : l’article L. 612-2 prévoit l’irrecevabilité de la saisine du médiateur de la consommation si le consommateur n’a pas tenté de résoudre son litige directement auprès du professionnel par une réclamation écrite selon les modalités prévues au contrat ! Mais il s’agit là d’un processus contractuel de négociation d’un accord, non d’une médiation ou conciliation.
 
ADD : Quelle place pour les auxiliaires de justice ?
Thomas ANDRIEU : Tout médiateur bénéficiera d’une certification de plein droit dès lors qu’il est inscrit sur la liste des médiateurs de la cour d’appel. Les auxiliaires de justice, huissiers et avocat notamment, ne seront pas exclus du dispositif.
 
À cet égard, le choix de ne pas certifier d’office les avocats, y compris ceux qui ne sont pas inscrits sur la liste des médiateurs, est assumé. Il s’explique par l’exigence qui entoure la personne physique chargée de la médiation en ligne. Le métier d’avocat n’est pas celui de médiateur, même s’ils sont conciliables. Nous avons donc choisi de ne certifier que les professionnels de la conciliation ou de la médiation, qui ont déjà fait la preuve de leur compétence en ce domaine.
 
Natalie FRICERO : Les auxiliaires de justice conservent toute leur place, dans la mesure où le recours à la médiation numérique n’est pas une obligation pour le justiciable !
 
Ils conservent leur rôle de conseil ; il leur appartient de rédiger et de sécuriser les accords éventuels et ils interviennent en cas de contentieux à l’occasion du processus de médiation puisque seul un juge pourra alors trancher !
Les avocats entrent, par ailleurs, dans le mouvement numérique en créant leurs plateformes pour offrir divers services juridiques.
 
 
ADD : Quid de l’interconnexion de ces plateformes avec le RPVA pour la justification des diligences accomplies ?
Thomas ANDRIEU : L’idée est séduisante, mais il y a un véritable questionnement à mener, la sécurité du réseau privé des avocats devant être préservée. En l’état, la préoccupation et l’action quotidienne du ministère de la Justice portent sur la qualité des échanges dématérialisés entre RPVA et RPVJ (notamment concernant la volumétrie des pièces : objectif de passage de 4 à 10 mégaoctets).
 
ADD : Quid de l’interconnexion de ces plateformes au SI de la justice ?
Thomas ANDRIEU : Le raccordement des plateformes certifiées au système d’information de la justice est une idée séduisante. Il serait dans l’intérêt des plateformes de communiquer sur le fait qu’elles sont connectées aux systèmes d’information de l’institution judiciaire, ce qui permettrait la récupération des données du dossier du justiciable.
 
Ainsi, la possibilité avait été envisagée de récupérer les données des plateformes lorsque l’avocat ou la personne avait introduit un recours.
 
Le rapport sur la transformation numérique du ministère, remis à la garde des Sceaux le 15 janvier dernier l’avait envisagé. La démarche pose cependant des questions techniques d’ampleur et il appartiendra au ministère de déterminer les priorités dans le cadre de son plan de transformation numérique. Cette démarche pose également la question des données pouvant être transmises, compte tenu du caractère confidentiel des échanges notamment de pièces, dans le cadre de la médiation.
 
Techniquement hors d’atteinte aujourd’hui : il est sans doute préférable de l’envisager de nouveau dans quelques années, dans un climat apaisé.
 
La question de principe étant de permettre aux seuls avocats et aux seules personnes de saisir le juge et de ne pas créer une quelconque possibilité de saisine du juge par les plateformes.
 
ADD : Cette réforme va-t-elle permettre aux acteurs d'accélérer leur développement ?
Thomas ANDRIEU : La certification est d’abord une incitation de marché. Elle doit permettre de guider les citoyens dans leur choix de confier leur litige auprès de telle ou telle plateforme. Ainsi, indéniablement, une plateforme souhaitant développer son activité aura intérêt à être certifiée afin de favoriser son développement.
 
ADD : Quid juris quand ce seront des plateformes dont le siège social sera situé à l'étranger ?
Thomas ANDRIEU : Outre leurs obligations au regard du RGPD dans le traitement des données à caractère personnel de citoyens européens, même si elles sont situées dans un État tiers, des plateformes dont le siège social sera situé à l’étranger seront susceptibles de bénéficier d’une certification dès lors que leur activité de résolution amiable des litiges répondra aux critères posés et qu’elles mettront les organismes accrédités par le COFRAC en mesure d’en examiner la conformité.
 
Cela ne doit pas être confondu avec la question des pirates de droit qui entreraient dans des domaines qui sont réglementés. Il faut alors les poursuivre, peu importe leur localisation. Cette dernière question pose, en revanche, un problème d’effectivité du droit.
 
Natalie FRICERO : Le numérique est un grand perturbateur du droit international privé, parce qu’il est fondé sur une déterritorialisation !

La Cour de justice de l’Union européenne tente d’interpréter les règlements pour permettre de situer la compétence du juge national en se fondant sur l’accessibilité d’un site sur le territoire (par ex., à propos de la méconnaissance d’un droit d’auteur, CJUE, 3 oct. 2013, affaire C‑170/12, « L’article 5, point 3, du règlement (CE) nº 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur garantis par l’État membre de la juridiction saisie, celle-ci est compétente pour connaître d’une action en responsabilité introduite par l’auteur d’une œuvre à l’encontre d’une société établie dans un autre État membre et ayant, dans celui-ci, reproduit ladite œuvre sur un support matériel qui est ensuite vendu par des sociétés établies dans un troisième État membre, par l’intermédiaire d’un site Internet accessible également dans le ressort de la juridiction saisie. Cette juridiction n’est compétente que pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre dont elle relève »).
 
Propos recueillis par Gaëlle Marraud des Grottes
Source : Actualités du droit