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Responsabilité du notaire qui omet de s’assurer de la solvabilité de l’acheteur et du financement de l’opération

Civil - Responsabilité
20/09/2019
Impartialité, loyauté... Dans un arrêt du 12 septembre 2019, la Cour de cassation rappelle que le notaire a parfois une marge de manœuvre étroite.
Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (C. civ., art. 1240, anc. 1382). Un arrêt de la Cour de cassation du 12 septembre 2019 nous apporte une nouvelle illustration de l’application de ce principe au notaire qui manquerait à son devoir de conseil.

Par acte sous seing privé notarié du 30 octobre 2012, les époux A vendent deux biens immobiliers à une SCI. L’acte ne prévoit aucune mention relative au financement mais contient une clause pénale pour le cas où la vente ne pourrait être réitérée en la forme authentique au plus tard le 28 février 2013. Le 17 janvier 2013, par un deuxième acte sous seing privé rédigé par un notaire du même office notarial, les époux A achètent à leur tour un appartement à Monsieur B, ayant remis au notaire un dépôt de garantie. Cet acte ne prévoit aucune condition suspensive d’obtention de prêt et, à l’instar du premier acte, comporte une clause pénale représentant 10 % du prix de vente pour le cas où la vente ne pourrait être réitérée en la forme authentique au plus tard le 15 avril 2013. La SCI n’obtient pas le financement nécessaire à l’acquisition des biens des époux A. La réitération de la première vente ne peut intervenir, par conséquent celle de la seconde non plus, les époux n’ayant pu disposer des fonds nécessaires à leur acquisition. Un procès-verbal de carence consigne que les époux refusent de libérer le dépôt de garantie. En conséquence, ceux-ci assignent Monsieur B, la société de notaires et le notaire rédacteur de l’acte, aux fins de voir réduire le montant de la clause pénale. Le vendeur de l’appartement sollicite de son côté le paiement de la clause pénale et la condamnation du notaire à l’indemniser.

La cour d’appel condamne l’office notarial et le notaire concerné in solidum entre eux à verser à l’épouse survivante la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel. Elle octroie à Monsieur B la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts. Elle considère en effet que « le notaire a manqué à son devoir de conseil en ne s’assurant pas de la solvabilité des époux A, non plus que les conditions dans lesquelles ils comptaient financer leur acquisition, ce qui aurait permis de le mettre en garde sur l’aléa tenant à la réitération effective de la vente consentie à la SCI ».

Les notaires invoquaient notamment dans leur pourvoi le fait que le juge doit déterminer la nature du préjudice dont il ordonne la réparation et caractériser le lien de causalité le reliant à la faute retenue. La Haute juridiction approuve les juges du fond d’avoir octroyer à l’épouse survivante les 20 000 euros de dommages et intérêts. En revanche, concernant la demande d’indemnisation du vendeur de l’appartement, elle considère que la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil (devenu art. 1240) ; elle a statué « sans caractériser l’existence d’un préjudice qui subsisterait après le paiement de la clause pénale prévue par l’acte du 17 janvier 2013 », clause destinée à l’indemniser du préjudice né de l’immobilisation de son bien. Au visa de l'article 1382 du Code civil (devenu art. 1240), l’arrêt est cassé en ce qu’il condamne le notaire à payer à ce vendeur la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Le notaire n’est en principe pas tenu à une obligation de mise en garde en ce qui concerne l’opportunité économique de l’opération envisagée (Cass. 1re civ., 4 nov. 2011, n° 10-19.942). Dans l’affaire jugée le 12 septembre 2019, il lui était difficile d’adresser des conseils contradictoires à chacune des parties à l’acte. Mais il pouvait informer l’acquéreur du risque inhérent au projet et de la nécessité d’insérer une clause suspensive (en cas de recours à l’emprunt, v. Cass. 1re civ., 9 juin 1998, n° 96-13.785).
Source : Actualités du droit